Dans cette communication, je me propose d’investiguer, d’un point de vue des relations intermédiales, comment les ouvrages narratifs peuvent produire du sens en exploitant le rapport entre forme et sens. Plus précisément, j’emploie les théories de l’intermédialité et notamment de l’iconicité dans l’analyse de deux ouvrages narratifs : le premier récit du roman Trois femmes puissantes de l’écrivaine française Marie Ndiaye, publié en 2009, et la nouvelle El café, publié en 1963 par l’écrivain mexicain Gabriel García Ponce. J’analyse notamment la manière dont ces ouvrages imitent des peintures. Ce genre d’imitation, appelée “imitation intermédiale” par le théoricien allemand Werner Wolf, a lieu lorsque les signifiants d’un ouvrage et/ou sa structure sont affectés par le médium non dominant, puisqu’ils semblent imiter ses caractéristiques et sa structure (Wolf, 2002:25). Selon le sémioticien Winfried Nöth, de telles relations peuvent être classifiées comme des cas typiques d’iconicité, dans lesquels la forme d’un médium imite la forme d’un autre médium, ou “form miming form” avec les mots de Nöth (2001:18). Le théoricien suédois Lars Elleström propose que l’iconicité contienne aussi les cas lorsque le sens ou la forme imitent le sens ou la forme, un sujet controversé dans les études de l’iconicité. Pourtant, l’hypothèse d’Elleström semble valide dans les ouvrages que j’étudie ici.
Il faut aussi mentionner que les imitations intermédiales étudiées dans mes exemples concernent des récits écrits qui imitent des peintures à un niveau général. De tels cas peuvent être étudiés comme des cas de model ekphrasis, selon la classification faite par Tamar Yacobi. Dans le cas de Ndiaye, la forme visuelle de l’écriture, ou la mise en page, ressemble au cadre d’un tableau, sans que ce soit un tableau spécifique. Le fait même de suggérer un cadre souligne l‘existence d’un autre type de cadre dans ce récit, un cadre entre les niveaux narratifs. L’écriture de García Ponce a aussi des traits picturaux, mais ce qui est imité à un certain moment est un tableau spécifique, comme dans ce que Yacobi appelle one-to-one ekphrasis : plus précisément le tableau Nighthawks d’Edward Hopper. Ma conclusion est que bien que le tableau de Hopper ne soit pas mentionné explicitement dans la nouvelle, la découverte de sa présence palimpsestique contribue à une lecture plus intéressante, grâce au sens que cela ajoute à l’histoire.
University of Bergen, 2017. p. 72-72
20th Nordic Romanist Conference : ROM17, University of Bergen, Department of Foreign Languages, August 15-18, 2017