Dans les ouvrages d’Assia Djebar la fiction et la réalité sont directement liées : les événements historiques, le documentaire, les témoignages et l’autobiographique se conjuguent avec la fiction. En me basant sur La Femme sans sépulture, mon intention est de montrer que l’écrivaine utilise le genre hybride pour s’écrire et réécrire l’Histoire. A travers la fiction, l’Histoire (post-)coloniale de l’Algérie, qui fait partie de l’héritage de l’écrivaine, est réécrite.
Djebar utilise la technique de la polyphonie pour subvertir un discours historique univoque, procédé narratif qui montre la diversité et la dialogicité des points de vue en créant une généalogie féminine dans le sens de Luce Irigaray (1987), généalogie négligée dans la société traditionnelle. Différents fragments textuels qui entrelacent le fictionnel, le référentiel et l’autobiographique forment, telles que les pièces d’une mosaïque, une image de l’itinéraire de l’héroïne oubliée. De cette façon, l’histoire ressuscitée acquiert une dimension collective et autobiographique. Il s’agit d’une reconfiguration de l’Histoire à travers laquelle aussi bien le passé que le présent acquièrent une nouvelle signification. Nous considérons le roman djebarien comme un récit historiographique en nous basant sur Hayden White (1988).
Les frontières entre le témoignage, le fictionnel et l’autobiographique sont floues, c’est-à-dire que le genre littéraire est hybride. Dans La Femme sans sépulture, il s’agit de témoignages fictionnalisés de faits historiques. Nous allons démontrer par l’argumentation de Derrida concernant le côté fictionnel du témoignage (Derrida, 1998), que Djebar raconte à l’aide du témoignage de la protagoniste quelque chose d’universalisable.
Djebar met ainsi en cause les discours identitaires traditionnalistes sur les femmes algériennes et inscrit l’histoire oubliée des femmes dans la mémoire collective (Halbwachs 1997) et dans le symbolique des signes, c’est-à-dire qu’elle déconstruit l’Histoire homogénéisante en substituant son roman au monument historique manquant, en d’autres mots la sépulture de l’héroïne.
L’écriture chez Djebar a par conséquent la fonction du tiers-espace d’énonciation au sens de Bhabha, dans lequel il est possible de s’approprier la signification et les symboles culturels, de les traduire et les réhistoriciser (Bhabha, 2007).